Malgré son indéniable talent, le peintre vénitien Leonardo Corona est négligé : la seule étude systématique qui lui ait été consacrée remonte à une quarantaine d’années (Eugenio Manzato, «Leonardo Corona da Murano», Arte veneta, XXIV, 1970, p. 128-150). Grâce aux nombreux documents inédits que nous avons découverts dans les archives vénitiennes, nous sommes parvenue à reconstituer au moins en partie sa «vraie vie», qui se révèle très différente de ce qu’on pensait jusqu’à présent: contrairement à ce qu’écrivait l’historiographe Ridolfi, qui retardait d'une décennie sa vie (Le Maraviglie dell'arte, Venise, 1648), Corona est né en 1552, d’un père miniaturiste, et mort en 1596. Sa formation est donc à situer vers 1565, à un moment où les grands maître de la Renaissance vénitienne sont encore actifs, ce qui explique que, tout au long de sa carrière, il n’ait jamais manqué de reconnaître sa dette, notamment à l’égard de Titien et de Tintoret. S'il figure au nombre des artistes qui sont chargés de décorer la salle du Grand Conseil au Palais des Doges après les incendies de 1574 et de 1577, c’est vraisemblablement parce qu’il a auparavant travaillé dans les ateliers de copistes qui approvisionnaient en «copie dei quadri di buoni maestri» (Ridolfi, Le Maraviglie, cit.) le marché artistique d’Europe du nord. Quelques commandes sur la Terre Ferme caractérisent également ses premières années d’activité. Il semble d’ailleurs que les capucins l’aient beaucoup apprécié. L’exploration des fonds d’archives nous a permis de reconstituer le contexte social bien particulier dans lequel s’insère la production de Corona. L’une des caractéristiques les plus fascinantes des chantiers vénitiens de la fin du XVIe siècle est en effet leur «esprit choral»: les intervenants étaient toujours très nombreux, tant du côté des commanditaires que du côté des artistes. Nous avons ainsi découvert que c’est probablement grâce à ses relations avec le milieu des miniaturistes et des libraires que Corona est admis dans la vaste équipe d’artistes qui décore de fond en comble l’église de San Zulian, entièrement reconstruite à partir de 1553. Ce sont en effet des typographes vénitiens renommés (Marchio Sessa, Tommaso Giunti, etc.) qui occupent la charge de procurateurs de l’église et qui jouent donc un rôle décisif dans la gestion de ses «affaires artistiques». Quant à l’une des confréries les plus importantes de la paroisse, la Scuola del Santissimo Sacramento, un dépouillement exhaustif de son «Registro di cassa» de 1502 à 1600 et une lecture approfondie de sa «Mariegola» nous ont permis d’établir qu’elle accueillait de nombreux citoyens d’origine bergamasque et que sa chapelle a été décorée deux fois ex novo à une quinzaine d’années de distance, mais avec un projet décoratif quasiment identique (une première fois autour de 1565, une seconde fois autour de 1580). Dans les années 1580, les travaux d’embellissement de l’église se poursuivent sous la direction d’un mécène bien particulier, le procurateur de l'église Gerolamo Vignola, dont nous retraçons en détail la personnalité et le réseau de relations. Côtoyant le «pievano» de l’époque et le chapitre de l’église, et prévoyant ensuite dans son testament de léguer 1000 ducats pour la réalisation du nouveau plafond de San Zulian, Gerolamo Vignola est le digne successeur du premier grand mécène de l’église, le célèbre médecin Tommaso Rangone, qui en avait financé la reconstruction. Notre choix d’une approche qui prenne systématiquement en considération l’entourage social de Corona nous a permis d’explorer les mécanismes de commande des décors religieux ainsi que le contexte propre à chaque commande. Les fonds d’archives les plus riches d’enseignements à cet égard sont ceux de Santa Maria Formosa et de San Bartolomeo. A Santa Maria Formosa, nous avons identifié l’un des très rares commanditaires individuels de Corona : pour son autel dédié au Crucifix, le patricien Marco di Nicolò Querini fait peindre par Corona une Crucifixion dont la religiosité sévère ressort par contraste avec la Déploration que Palma le Jeune réalise quelques années plus tard, dans la même église, pour un commanditaire dont nous avons également découvert l’identité : alors que Corona construit une image anonyme, qui se focalise exclusivement sur le salut de l’âme de Marco Querini, de ses ancêtres et de ses descendants, Palma insère un portrait bien individualisé du commanditaire, Giovan Francesco Querini-Stampalia, sous les traits de saint François d’Assise. A San Bartolomeo, Leonardo travaille une nouvelle fois pour une confrérie de dévotion : il peint un Saint Matthias en marche pour la scuola de saint Matthias. Deux documents nous ont permis d’établir que ce tableau d’autel constitue l’une des dernières oeuvres de Corona : le paiement d’un acompte de 30 ducats, versé au peintre en septembre 1595, est suivi d’un solde de 20 ducats, réglé à son fils Michele. Les archives nous ont également permis d’expliquer l’iconographie singulière de ce tableau d’autel: s’il montre Matthias cheminant comme un pèlerin (sur le modèle du Saint Jacques le Mineur que Titien avait peint pour l’église de San Lio), c’est selon toute vraisemblance en raison de l’histoire tourmentée de la scuola. On peut en effet conjecturer que le «pèlerinage» du saint se réfère au «voyage» de la confrérie elle-même: chassée de l’église en raison de nombreux conflits avec le clergé local, elle est à nouveau accueillie dans l’église contre la promesse d’édifier et de décorer à ses frais un nouvel autel. Enfin, nos recherches sur les oeuvres que Corona a exécutées dans les années 1590-1595 nous ont permis de mettre en lumière d’autres cas exemplaires. Par exemple, à Santo Stefano, Corona peint pour la confrérie des «Centurati» non seulement un tableau d’autel, mais aussi un grand monochrome sur bois, une sorte d’ébauche du tableau d’autel. Nous émettons l’hypothèse que cet objet, quasiment unique en son genre (et qui est d’ailleurs le seul témoignage certain que nous ayons conservé de son activité graphique), aurait constitué un décor provisoire: le peintre, débordé de travail, l’aurait réalisé dans l’urgence, en attendant d’avoir le temps d’exécuter le tableau définitif.
(Intorno a) Leonardo Corona (1552-1596) : documenti, fonti e indagini storico-contestuali / Sapienza, Valentina. - (2011 Jul 06).
(Intorno a) Leonardo Corona (1552-1596) : documenti, fonti e indagini storico-contestuali
Sapienza, Valentina
2011-07-06
Abstract
Malgré son indéniable talent, le peintre vénitien Leonardo Corona est négligé : la seule étude systématique qui lui ait été consacrée remonte à une quarantaine d’années (Eugenio Manzato, «Leonardo Corona da Murano», Arte veneta, XXIV, 1970, p. 128-150). Grâce aux nombreux documents inédits que nous avons découverts dans les archives vénitiennes, nous sommes parvenue à reconstituer au moins en partie sa «vraie vie», qui se révèle très différente de ce qu’on pensait jusqu’à présent: contrairement à ce qu’écrivait l’historiographe Ridolfi, qui retardait d'une décennie sa vie (Le Maraviglie dell'arte, Venise, 1648), Corona est né en 1552, d’un père miniaturiste, et mort en 1596. Sa formation est donc à situer vers 1565, à un moment où les grands maître de la Renaissance vénitienne sont encore actifs, ce qui explique que, tout au long de sa carrière, il n’ait jamais manqué de reconnaître sa dette, notamment à l’égard de Titien et de Tintoret. S'il figure au nombre des artistes qui sont chargés de décorer la salle du Grand Conseil au Palais des Doges après les incendies de 1574 et de 1577, c’est vraisemblablement parce qu’il a auparavant travaillé dans les ateliers de copistes qui approvisionnaient en «copie dei quadri di buoni maestri» (Ridolfi, Le Maraviglie, cit.) le marché artistique d’Europe du nord. Quelques commandes sur la Terre Ferme caractérisent également ses premières années d’activité. Il semble d’ailleurs que les capucins l’aient beaucoup apprécié. L’exploration des fonds d’archives nous a permis de reconstituer le contexte social bien particulier dans lequel s’insère la production de Corona. L’une des caractéristiques les plus fascinantes des chantiers vénitiens de la fin du XVIe siècle est en effet leur «esprit choral»: les intervenants étaient toujours très nombreux, tant du côté des commanditaires que du côté des artistes. Nous avons ainsi découvert que c’est probablement grâce à ses relations avec le milieu des miniaturistes et des libraires que Corona est admis dans la vaste équipe d’artistes qui décore de fond en comble l’église de San Zulian, entièrement reconstruite à partir de 1553. Ce sont en effet des typographes vénitiens renommés (Marchio Sessa, Tommaso Giunti, etc.) qui occupent la charge de procurateurs de l’église et qui jouent donc un rôle décisif dans la gestion de ses «affaires artistiques». Quant à l’une des confréries les plus importantes de la paroisse, la Scuola del Santissimo Sacramento, un dépouillement exhaustif de son «Registro di cassa» de 1502 à 1600 et une lecture approfondie de sa «Mariegola» nous ont permis d’établir qu’elle accueillait de nombreux citoyens d’origine bergamasque et que sa chapelle a été décorée deux fois ex novo à une quinzaine d’années de distance, mais avec un projet décoratif quasiment identique (une première fois autour de 1565, une seconde fois autour de 1580). Dans les années 1580, les travaux d’embellissement de l’église se poursuivent sous la direction d’un mécène bien particulier, le procurateur de l'église Gerolamo Vignola, dont nous retraçons en détail la personnalité et le réseau de relations. Côtoyant le «pievano» de l’époque et le chapitre de l’église, et prévoyant ensuite dans son testament de léguer 1000 ducats pour la réalisation du nouveau plafond de San Zulian, Gerolamo Vignola est le digne successeur du premier grand mécène de l’église, le célèbre médecin Tommaso Rangone, qui en avait financé la reconstruction. Notre choix d’une approche qui prenne systématiquement en considération l’entourage social de Corona nous a permis d’explorer les mécanismes de commande des décors religieux ainsi que le contexte propre à chaque commande. Les fonds d’archives les plus riches d’enseignements à cet égard sont ceux de Santa Maria Formosa et de San Bartolomeo. A Santa Maria Formosa, nous avons identifié l’un des très rares commanditaires individuels de Corona : pour son autel dédié au Crucifix, le patricien Marco di Nicolò Querini fait peindre par Corona une Crucifixion dont la religiosité sévère ressort par contraste avec la Déploration que Palma le Jeune réalise quelques années plus tard, dans la même église, pour un commanditaire dont nous avons également découvert l’identité : alors que Corona construit une image anonyme, qui se focalise exclusivement sur le salut de l’âme de Marco Querini, de ses ancêtres et de ses descendants, Palma insère un portrait bien individualisé du commanditaire, Giovan Francesco Querini-Stampalia, sous les traits de saint François d’Assise. A San Bartolomeo, Leonardo travaille une nouvelle fois pour une confrérie de dévotion : il peint un Saint Matthias en marche pour la scuola de saint Matthias. Deux documents nous ont permis d’établir que ce tableau d’autel constitue l’une des dernières oeuvres de Corona : le paiement d’un acompte de 30 ducats, versé au peintre en septembre 1595, est suivi d’un solde de 20 ducats, réglé à son fils Michele. Les archives nous ont également permis d’expliquer l’iconographie singulière de ce tableau d’autel: s’il montre Matthias cheminant comme un pèlerin (sur le modèle du Saint Jacques le Mineur que Titien avait peint pour l’église de San Lio), c’est selon toute vraisemblance en raison de l’histoire tourmentée de la scuola. On peut en effet conjecturer que le «pèlerinage» du saint se réfère au «voyage» de la confrérie elle-même: chassée de l’église en raison de nombreux conflits avec le clergé local, elle est à nouveau accueillie dans l’église contre la promesse d’édifier et de décorer à ses frais un nouvel autel. Enfin, nos recherches sur les oeuvres que Corona a exécutées dans les années 1590-1595 nous ont permis de mettre en lumière d’autres cas exemplaires. Par exemple, à Santo Stefano, Corona peint pour la confrérie des «Centurati» non seulement un tableau d’autel, mais aussi un grand monochrome sur bois, une sorte d’ébauche du tableau d’autel. Nous émettons l’hypothèse que cet objet, quasiment unique en son genre (et qui est d’ailleurs le seul témoignage certain que nous ayons conservé de son activité graphique), aurait constitué un décor provisoire: le peintre, débordé de travail, l’aurait réalisé dans l’urgence, en attendant d’avoir le temps d’exécuter le tableau définitif.File | Dimensione | Formato | |
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