L’objectif de mon article est d’approfondir le rapport entre la notion de « pluralité opérale » que propose Gérard Genette dans L’Œuvre de l’art : immanence et transcendance et les dynamiques amorcées par l’édition des films en DVD. En paraphrasant Genette, nous pourrions dire que le film change du fait qu’il ne change pas quand tout, autour de lui, change : un même « objet d’immanence » produit des œuvres différentes en tant qu’il suscite des lectures et des réceptions différentes (les notions de « niveaux de réception » et d’ « objet attentionnel », que propose Genette dans L’Œuvre de l’art : la relation esthétique, seront elles aussi très utiles). Dans la régulation du rapport entre la permanence de l’objet et la métamorphose des réceptions, le paratexte joue évidemment un rôle fondamental : « « Etant immuable, le texte est par lui-même incapable de s’adapter aux modifications de son public, dans l’espace et dans le temps. Plus flexible, plus versatile, toujours transitoire parce que transitif, le paratexte lui est en quelque sorte un instrument d’adaptation » (G. Genette, Seuils, p. 411) Par conséquent, en dotant le film d’un certain apparat textuel, l’édition DVD peut elle aussi avoir un rôle décisif en augmentant ou en « congelant » la pluralité opérale : une édition DVD peut par exemple faire dialoguer des réceptions différentes (et même « concurrentes ») ou, au contraire, en imposer une comme « dominante » ; en outre, dans une optique synchronique, différentes éditions en DVD d’un même film peuvent « entrer en concurrence » en proposant des clés de lecture différentes de ce même film. J’ai appliqué ces réflexions à l’étude d’un cas qui m’a paru particulièrement intéressant. En regardant les éditions DVD (toutes deux issues du catalogue de la Criterion Collection) de All That Heaven Allows (D. Sirk, 1955) et de Angst essen Seele Auf (Ali: Fear Eats the Soul, R.W. Fassbinder, 1974), nous pouvons constater que se réalise pleinement la célèbre provocation de Borges dans Enquêtes, « chaque écrivain crée ses précurseurs. Son œuvre modifie notre conception du passé ». En effet, nous accédons au film de Sirk à travers la lecture critique de Fassbinder (son fameux essai de 1971, Imitation of Life: On the Films of Douglas Sirk, est proposé dans les bonus) et, plus généralement, à travers les processus d’ « auteurialisation » de Sirk élaborés dans les années 1970 (l’introduction du livret est ainsi écrite par Laura Mulvey). De même, nous accédons à Fassbinder à travers un entretien (dont le titre est significatif : « From Fassbinder to Sirk and Back ») de Todd Haynes, l’auteur de Far Fron Heaven (2002), hommage explicite au cinéma de Sirk. Curieusement, si nous regardons l’édition italienne en DVD de Far From Heaven (qui n’existe pas dans le catalogue Criterion), il n’y a aucune trace de Sirk ni de Fassbinder (c’est-à-dire d’une « logique des influences » plus ordinaire). Pour les trois films examinés, nous avons essaié de tenir compte aussi des autres éditions en DVD, françaises (en particulier, l’édition Carlotta Films de Tout ce que le ciel permet) et italiennes, pour voir notamment quelles attitudes elles adoptent par rapport à cette possibilité d’exalter ou au contraire de réprimer la « pluralité opérale » que donne la stratification des réceptions.

À propos de compétences et de compétitions: éditions DVD et réceptions plurielles

RE, Valentina Carla
2009-01-01

Abstract

L’objectif de mon article est d’approfondir le rapport entre la notion de « pluralité opérale » que propose Gérard Genette dans L’Œuvre de l’art : immanence et transcendance et les dynamiques amorcées par l’édition des films en DVD. En paraphrasant Genette, nous pourrions dire que le film change du fait qu’il ne change pas quand tout, autour de lui, change : un même « objet d’immanence » produit des œuvres différentes en tant qu’il suscite des lectures et des réceptions différentes (les notions de « niveaux de réception » et d’ « objet attentionnel », que propose Genette dans L’Œuvre de l’art : la relation esthétique, seront elles aussi très utiles). Dans la régulation du rapport entre la permanence de l’objet et la métamorphose des réceptions, le paratexte joue évidemment un rôle fondamental : « « Etant immuable, le texte est par lui-même incapable de s’adapter aux modifications de son public, dans l’espace et dans le temps. Plus flexible, plus versatile, toujours transitoire parce que transitif, le paratexte lui est en quelque sorte un instrument d’adaptation » (G. Genette, Seuils, p. 411) Par conséquent, en dotant le film d’un certain apparat textuel, l’édition DVD peut elle aussi avoir un rôle décisif en augmentant ou en « congelant » la pluralité opérale : une édition DVD peut par exemple faire dialoguer des réceptions différentes (et même « concurrentes ») ou, au contraire, en imposer une comme « dominante » ; en outre, dans une optique synchronique, différentes éditions en DVD d’un même film peuvent « entrer en concurrence » en proposant des clés de lecture différentes de ce même film. J’ai appliqué ces réflexions à l’étude d’un cas qui m’a paru particulièrement intéressant. En regardant les éditions DVD (toutes deux issues du catalogue de la Criterion Collection) de All That Heaven Allows (D. Sirk, 1955) et de Angst essen Seele Auf (Ali: Fear Eats the Soul, R.W. Fassbinder, 1974), nous pouvons constater que se réalise pleinement la célèbre provocation de Borges dans Enquêtes, « chaque écrivain crée ses précurseurs. Son œuvre modifie notre conception du passé ». En effet, nous accédons au film de Sirk à travers la lecture critique de Fassbinder (son fameux essai de 1971, Imitation of Life: On the Films of Douglas Sirk, est proposé dans les bonus) et, plus généralement, à travers les processus d’ « auteurialisation » de Sirk élaborés dans les années 1970 (l’introduction du livret est ainsi écrite par Laura Mulvey). De même, nous accédons à Fassbinder à travers un entretien (dont le titre est significatif : « From Fassbinder to Sirk and Back ») de Todd Haynes, l’auteur de Far Fron Heaven (2002), hommage explicite au cinéma de Sirk. Curieusement, si nous regardons l’édition italienne en DVD de Far From Heaven (qui n’existe pas dans le catalogue Criterion), il n’y a aucune trace de Sirk ni de Fassbinder (c’est-à-dire d’une « logique des influences » plus ordinaire). Pour les trois films examinés, nous avons essaié de tenir compte aussi des autres éditions en DVD, françaises (en particulier, l’édition Carlotta Films de Tout ce que le ciel permet) et italiennes, pour voir notamment quelles attitudes elles adoptent par rapport à cette possibilité d’exalter ou au contraire de réprimer la « pluralité opérale » que donne la stratification des réceptions.
2009
9
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